[Traduit de l'anglais]

Gardez le contrôle de votre informatique, afin qu'elle ne vous contrôle pas !

Le World Wide Web, développé par Tim Berners Lee dans les années 90 en tant que système destiné à la publication et à la lecture d'informations, se transforme lentement en un système de traitement de l'information à distance. Il stockera vos données et des données vous concernant, limitant souvent votre accès à celles-ci mais autorisant l'accès par le FBI à n'importe quel moment. Il traitera l'information pour vous, mais vous ne pourrez pas contrôler ce qu'il fait. Il propose diverses attractions tentantes, mais vous devez y résister.

Dans les années 80, la plupart des gens n'utilisaient pas d'ordinateur ; ceux qui le faisaient utilisaient principalement des ordinateurs individuels ou des services en temps partagé. Tous deux vous autorisaient à installer les logiciels de votre choix. Tous deux vous donnaient un contrôle total sur vos données, bien qu'il ne soit pas clair quel accès les services en temps partagé fournissaient au FBI. Quoi qu'il en soit, les services en temps partagé ont quasiment disparu dans les années 90.

Cela ne signifie pas que ces utilisateurs avaient le contrôle de leur informatique. Avec le logiciel, soit les utilisateurs contrôlent le programme (logiciel libre), soit le programme contrôle les utilisateurs (logiciel privateur1 ou non libre). Ces utilisateurs faisaient tourner du logiciel privateur car c'est tout ce qui existait à l'époque. Ces utilisateurs ne pouvaient pas le modifier, ni même dire ce qu'il faisait réellement.

La malveillance du logiciel privateur s'est intensifiée depuis ; de nos jours, il est probable qu'il vous espionne, restreint votre activité intentionnellement, ou présente des portes dérobées [backdoors] (Windows est connu pour faire les trois, ainsi que l'iPhone et le Kindle). Mais même en l'absence de tels abus, il n'était pas correct pour les utilisateurs d'être contrôlés par leur logiciel.

C'est la raison pour laquelle j'ai initié le mouvement du logiciel libre en 1983. Nous avons décidé de développer un système d'exploitation et des applications qui seraient entièrement libres, afin que les utilisateurs en aient le contrôle. J'ai donné à ce système le nom de GNU (vous avez probablement entendu des gens l'appeler « Linux », mais c'est une erreur). Les personnes qui basculent sur ce système, et insistent pour utiliser uniquement du logiciel libre, sont en mesure de contrôler leur informatique. Nous n'avons libéré qu'une infime partie du cyberespace, pour l'instant, mais c'est un premier pas vers la liberté.

Les développements du web menacent de réduire à néant cette réalisation. Le premier problème a été l'utilisation de références invisibles à des sites dont la mission était la surveillance (peut-être pour de la publicité). Les utilisateurs qui visitaient les sites A, B, X et Z ne réalisaient pas que leurs pages contenaient des références invisibles à jevousregarde.com, de sorte que chaque visite informait ce site également, et que ce dernier enregistrait de manière permanente que tel utilisateur avait visité certaines pages.

JavaScript créa un problème supplémentaire. Utilisé initialement pour des choses inoffensives comme des menus originaux, ses capacités ont été étendues au point qu'il peut effectuer des traitements de l'information non triviaux. Des services comme Google Docs installent de gros programmes JavaScript dans le navigateur de l'utilisateur. Bien qu'ils tournent sur votre ordinateur, vous n'avez aucun contrôle sur ce qu'ils y font.

Ensuite vient la question du stockage de vos données sur des serveurs appartenant à des entreprises. Les plus grandes de ces entreprises ont peu de respect pour la vie privée des utilisateurs. Par exemple, si vous placez vos données sur Facebook, des sociétés paient Facebook (pas vous) pour l'usage de ces données. Elles paient Facebook (pas vous) pour lancer des publicités utilisant votre visage.

Les entreprises de temps partagé des années 80 traitaient généralement les données de leurs utilisateurs avec respect, bien qu'elles aient pu parfois les abuser, car leurs utilisateurs étaient des clients payants et pouvaient les quitter. Les utilisateurs de Facebook ne paient pas, donc ils ne sont pas ses clients. Ils sont sa marchandise, destinée à être vendue à d'autres entreprises. Si l'entreprise est aux USA ou est une filiale d'une entreprise américaine, le FBI peut collecter ces données à sa guise, sans même une ordonnance du tribunal, en vertu d'une loi des USA anti-américaine [un-American], nommée dans la plus pure des langues de bois le Patriot Act.

Des services offrent également de traiter les données des utilisateurs. Concrètement, cela signifie que les utilisateurs effectuent leurs traitements sur les serveurs, et que les serveurs prennent le contrôle complet de ce traitement.

Il existe une campagne de marketing systématique qui cherche à conduire les utilisateurs à confier leurs traitements et leurs données à des entreprises auxquelles ils n'ont absolument aucune raison de faire confiance. Son slogan est « informatique dans les nuages » [cloud computing], une expression utilisée pour tellement de structures de traitement de l'information différentes que sa seule signification véritable est : « Faites-le sans réfléchir à ce que vous faites ».

Il existe même un produit, Google ChromeOS, conçu de manière à ne pouvoir stocker les données qu'à distance, ce qui oblige l'utilisateur à effectuer ses traitements à distance. Comble de l'ironie, c'est un logiciel libre, une version de GNU/Linux. Les utilisateurs auront accès au code source, et pourraient même le modifier afin de permettre un traitement local et un stockage local – à supposer que la machine dispose de suffisamment de mémoire et qu'elle permette aux utilisateurs d'installer leur propre version des logiciels. S'ils sont comme les téléphones Android, la plupart des équipements sous ChromeOS seront conçus pour empêcher les utilisateurs de le faire.

Cela ne signifie pas que les utilisateurs d'Internet ne peuvent avoir de vie privée. Cela ne signifie pas que les utilisateurs d'Internet ne peuvent avoir le contrôle de leur informatique. Cela signifie qu'il vous faudra nager à contre-courant pour en bénéficier.


Note de traduction
  1. Autre traduction de proprietary : propriétaire.